L’île de Beauté déploie ses sentiers comme une invitation permanente à l’aventure pédestre. Des crêtes vertigineuses du Cap Corse aux aiguilles de Bavella, des forêts de pins laricio de la Restonica aux plages secrètes du désert des Agriates, la Corse offre une diversité de randonnées rarement égalée en Méditerranée. Le randonneur se trouve face à un dilemme savoureux, privilégier le nord, sauvage et préservé, ou le sud, spectaculaire et minéral ? Cette question mérite davantage qu’une réponse tranchée. Nord et sud corses révèlent des personnalités distinctes, des paysages contrastés, des expériences complémentaires. Comprendre ces différences permet de choisir sa destination selon ses aspirations, quête d’authenticité, soif de panoramas grandioses, recherche de fraîcheur estivale ou désir de combiner marche et baignade. Explorons ces territoires de randonnée pour dessiner votre itinéraire idéal.
Le GR20, épine dorsale mythique qui défie les catégories
Impossible d’évoquer la randonnée en Corse sans mentionner le GR20, sentier légendaire qui traverse l’île du nord au sud sur cent quatre-vingts kilomètres. De Calenzana, village de Balagne, jusqu’à Conca, au-dessus de Porto-Vecchio, ce parcours relie seize étapes d’une exigence redoutable. Considéré comme le plus difficile des grands sentiers de randonnée européens, il enchaîne passages rocheux, montées abruptes, crêtes exposées au vent et descentes sur pierrailles instables.
La réputation du GR20 n’est pas usurpée. Les dénivelés quotidiens oscillent entre mille et deux mille mètres, le terrain technique requiert l’usage fréquent des mains, les conditions météorologiques changent brutalement en altitude. Les refuges de montagne, gérés par le Parc Naturel Régional de Corse, jalonnent l’itinéraire tous les quatre à six heures de marche. Spartiates mais accueillants, ils proposent dortoirs, emplacements de tente, points d’eau et gardiens dispensant conseils et convivialité.

Ce sentier traverse des paysages d’une beauté sidérante. La section nord, réputée plus ardue, serpente entre pics granitiques et vallées glaciaires. Le cirque de la Solitude, passage vertigineux équipé de chaînes, marque les esprits par son exposition. Le Monte Cinto, point culminant de l’île à deux mille sept cent six mètres, domine les horizons. La partie sud révèle les aiguilles de Bavella, cathédrales de pierre rouge perçant le ciel, et les forêts de pins laricio centenaires.
Parcourir l’intégralité du GR20 nécessite entre douze et seize jours selon le rythme adopté. Nombre de randonneurs optent pour des tronçons, la partie nord, plus minérale et verticale, ou la section sud, légèrement moins technique mais tout aussi magnifique. Cette modularité permet d’adapter l’aventure à sa condition physique et son temps disponible. Le GR20 constitue ainsi l’expérience ultime de la randonnée corse, synthèse parfaite des splendeurs insulaires.
Le GR20 en courant, l’ultra-trail à l’assaut de la montagne corse
Le GR20 connaît depuis une décennie une mutation spectaculaire, des coureurs l’arpentent en mode ultra-trail, transformant seize journées de randonnée en course contre la montre de trois à cinq jours. Cette discipline extrême, baptisée trail running, attire des athlètes venus du monde entier pour défier les cent quatre-vingts kilomètres et dix mille mètres de dénivelé positif du mythique sentier. Le record masculin, établi à trente et une heures, défie l’entendement. Imaginer parcourir en continu ce terrain chaotique, franchir ces passages rocheux, enchaîner ces montées abruptes sans sommeil relève de l’exploit surhumain.
Les coureurs du GR20 adoptent une approche radicalement différente des randonneurs. L’équipement se réduit au strict minimum, sac de trail de quinze à vingt litres contenant vêtements de pluie, lampe frontale, vivres de course, trousse de premiers secours ultralight. Pas de tente, rarement de duvet. Les refuges servent de points de ravitaillement où l’athlète engloutit des calories, remplit ses gourdes, repart aussitôt. Certains courent en autonomie quasi totale, dormant deux à trois heures dans les bergeries, sous les étoiles méditerranéennes ou dans les abris sommaires jalonnant le parcours.

La préparation physique requiert des mois d’entraînement spécifique. Courses longues en montagne, fractionné sur dénivelé, renforcement musculaire des chevilles et genoux sollicités par la descente sur pierrailles. La dimension mentale pèse autant que le physique. Affronter la douleur des muscles tétanisés, la fatigue du manque de sommeil, le doute qui surgit au creux de la nuit dans le cirque de la Solitude nécessite une force psychologique hors du commun. Les ultra-trailers parlent de dialogue intérieur permanent, de négociation avec leur corps suppliant l’arrêt.
La course organisée « Diagonale des Fous Corse » ou le « GR20 Trail » rassemblent plusieurs centaines de participants sur des formats variés. Certains optent pour la partie nord uniquement, quatre-vingt-dix kilomètres de verticalité pure. D’autres s’attaquent à l’intégralité en relais, se relayant aux refuges. Les solitaires en quête absolue partent hors compétition, affrontant le sentier dans une communion solitaire avec la montagne. Ces coureurs développent une connaissance intime du terrain, mémorisant la position des rochers, anticipant les passages techniques, trouvant leur rythme dans la souffrance.
Courir le GR20 révèle des paysages sous un angle différent. Les levers de soleil sur le Monte Cinto, aperçus depuis les crêtes en plein effort, impriment la rétine de couleurs incandescentes. Les rencontres fugaces avec les randonneurs stupéfaits de voir passer ces ombres légères. L’odeur du maquis, décuplée par l’intensité de l’effort et l’hyperventilation. Les animaux surpris à l’aube, mouflons bondissant entre les rochers, rapaces planant dans les thermiques matinaux. Cette vitesse offre une lecture accélérée du territoire, une traversée cinématographique où les décors défilent en fondu enchaîné.
Les dangers s’intensifient proportionnellement à la vitesse. Une cheville qui se tord sur une pierre instable, une chute dans une descente mal négociée peuvent transformer l’aventure en cauchemar. Les secours en montagne corse, bien qu’efficaces, nécessitent du temps pour atteindre les zones reculées. Les coureurs expérimentés connaissent leurs limites, ralentissent dans les passages exposés, préfèrent perdre quelques minutes que risquer l’accident grave. Cette lucidité fait la différence entre l’exploit et l’inconscience.
Nord de la Corse, authenticité préservée et diversité des terroirs
Le nord corse offre une mosaïque de territoires propices à la randonnée, loin des foules estivales qui concentrent sur le littoral sud. Le Cap Corse, péninsule étirée vers le nord sur quarante kilomètres, propose le sentier des Douaniers. Cette ancienne voie de surveillance maritime relie villages de pêcheurs, criques sauvages et tours génoises. Les étapes varient de deux à cinq heures, accessibles à tout marcheur habitué. Les panoramas embrassent la Méditerranée jusqu’à la Toscane par temps clair.
La montagne du Cap révèle une autre facette lors de la randonnée vers le Monte Stello, sommet culminant à mille trois cent soixante-sept mètres. Le départ depuis le col de Sainte-Lucie, à neuf cents mètres d’altitude, facilite l’ascension. Trois heures de marche progressive mènent au sommet d’où le regard embrasse simultanément les deux façades du Cap, orientale et occidentale. Le sentier traverse le maquis dense, ponctué de bergeries en ruine témoignant d’un pastoralisme séculaire.
La Balagne, jardin de la Corse, conjugue mer et montagne en douceur relative. Le sentier Mare e Monti relie Calenzana à Cargèse en dix étapes, alternant villages perchés et plages désertes. Sant’Antonino, Pigna, Corbara surgissent comme des nids d’aigle dominant la plaine littorale. Les oliveraies centenaires, les vergers d’agrumes, les châtaigneraies composent un paysage méditerranéen généreux. Les gîtes d’étape permettent de randonner léger, sans tente ni réchaud.

Les hautes vallées du nord, Asco notamment, révèlent une Corse alpine. La forêt de Carrozica abrite des pins laricio atteignant cinquante mètres, arbres majestueux vieux de quatre siècles. La remontée du vallon vers le cirque de Trimbolacciu dévoile des piscines naturelles creusées dans le granite. L’eau glacée, translucide, invite à la baignade après l’effort. Ces vallées constituaient jadis les voies d’accès privilégiées vers les hauts pâturages d’été, chemins que les randonneurs empruntent aujourd’hui pour leur beauté intacte.
Sud de la Corse, relief spectaculaire et lumière éclatante
Le sud corse frappe par la verticalité de ses reliefs et l’intensité de sa luminosité. Bavella règne en maître incontesté sur le panthéon des sites de randonnée méridionaux. Les aiguilles de porphyre rouge, sculptures naturelles élancées vers le ciel, créent un décor d’une puissance visuelle extraordinaire. Le trou de la Bombe, arche naturelle de quinze mètres de diamètre, se rejoint par un sentier balisé depuis le col de Bavella. Deux heures suffisent pour l’aller-retour, accessible aux familles habituées à la marche.
Les randonneurs confirmés s’attaquent à la traversée du massif par le variante alpine du GR20. Les passages sur dalles inclinées, l’escalade de blocs rocheux, les chaînes métalliques installées dans les sections exposées exigent absence de vertige et pied sûr. Les récompenses se nomment Punta Velacu, Punta Tafunata, sommets dépassant les deux mille mètres et offrant des panoramas à couper le souffle. La forêt de Bavella, peuplée de pins laricio tortueux, apporte une ombre bienvenue lors des chaudes journées estivales.
L’Alta Rocca, région montagneuse située entre mer et montagne, déroule des sentiers moins fréquentés mais tout aussi fascinants. Le plateau de Coscione, vaste étendue d’altitude ondulant autour de mille cinq cents mètres, évoque les hauts plateaux d’Asie centrale. Les pozzi, vasques d’eau cristalline alimentées par des sources pérennes, ponctuent les parcours. Les troupeaux de vaches et de cochons en semi-liberté, race corse rustique, paissent ces espaces préservés. Le site archéologique de Cucuruzzu, village fortifié de l’âge du bronze, se découvre au terme d’une marche facile d’une heure.

La combinaison randonnée et mer trouve son expression parfaite dans le sud. De nombreux sentiers côtiers partent de Porto-Vecchio ou Bonifacio vers des plages accessibles uniquement à pied. La cala di Conca, la plage de Sperone atteinte depuis Bonifacio, les criques de Pinarello offrent la récompense d’une baignade dans des eaux turquoise après plusieurs heures de marche sous le soleil méditerranéen. Cette dualité montagne-mer caractérise l’identité du sud corse.
Centre Corse, Corte et les vallées glaciaires
Corte, ancienne capitale de la Corse indépendante au XVIIIe siècle, constitue le point de départ privilégié pour explorer les vallées centrales. La Restonica, gorge étroite remontant vers les lacs glaciaires, attire les randonneurs en quête de fraîcheur estivale. La route s’achève au parking des bergeries de Grotelle, à mille quatre cents mètres d’altitude. De là, le sentier grimpe en deux heures jusqu’au lac de Melo, premier joyau niché dans un cirque de granite.
L’eau du lac, d’un vert laiteux dû aux particules rocheuses en suspension, atteint une fraîcheur polaire même en août. Les plus courageux s’y baignent, expérience revigorante garantie. La suite vers le lac de Capitello, perché cent cinquante mètres plus haut, nécessite une heure supplémentaire sur un terrain plus technique. Blocs erratiques, dalles inclinées, câbles d’assistance jalonnent cette montée exigeante. Le lac supérieur, plus vaste et profond, repose dans un amphithéâtre minéral de toute beauté.
La vallée du Tavignano, jumelle moins fréquentée de la Restonica, offre une alternative séduisante. Le départ s’effectue depuis Corte même, traversant le Tavignano sur une passerelle suspendue. Le sentier remonte la rivière à travers une forêt mixte de pins et de chênes. Les vasques successives invitent à la baignade contemplative. La bergerie de Traghjete, refuge gardé en été, permet de pousser l’exploration sur plusieurs jours vers le lac de Nino, plateau d’altitude ponctué de pozzi et parcouru par les chevaux sauvages.
Ces vallées centrales bénéficient d’un microclimat particulier. Les précipitations y sont plus abondantes qu’ailleurs en Corse, alimentant une végétation luxuriante. Les températures estivales restent supportables grâce à l’altitude et aux vents de vallée. Le printemps révèle une explosion florale extraordinaire, anémones, orchidées sauvages, hellébores tapissent les sous-bois. L’automne pare les feuillus de teintes rousses et dorées, transformant les paysages en tableaux impressionnistes.
Quand randonner en Corse et comment faire son choix
La saisonnalité influence profondément l’expérience de randonnée en Corse. L’été, juillet et août, concentre la fréquentation touristique. Les sentiers mythiques comme le GR20 connaissent un engorgement relatif, les refuges affichent complet, la chaleur écrasante en basse altitude rend la marche pénible entre onze heures et seize heures. Les départs matinaux, dès l’aube, s’imposent pour profiter de la fraîcheur et de la lumière dorée rasante.

Le printemps, mai et juin, constitue la période idéale pour la randonnée corse. Les températures clémentes autorisent l’effort sans souffrance, la nature explose en floraisons multicolores, les rivières charrient une eau abondante remplissant généreusement les vasques. Les nuits restent fraîches, parfois froides en altitude, nécessitant un équipement adapté. La neige persiste sur les sommets dépassant deux mille mètres jusqu’à fin juin, rendant certains passages du GR20 impraticables.
L’automne, septembre et octobre, offre une seconde fenêtre privilégiée. La mer conserve une température estivale, permettant des baignades réparatrices après la marche. Les foules estivales se sont dispersées, restituant aux sentiers leur quiétude. Les lumières automnales, plus obliques, sculptent les reliefs et intensifient les couleurs. Les châtaignes jonchent le sol des forêts de Castagniccia, les arbousiers se parent de fruits rouge vif, le maquis embaume d’arômes concentrés.
Le choix entre nord et sud dépend finalement des aspirations personnelles. Le nord séduit les amateurs d’authenticité, de villages préservés, de randonnées moins fréquentées. Le sud attire les passionnés de paysages spectaculaires, de défis techniques, de combinaison marche-baignade. Le centre convient aux chercheurs de fraîcheur estivale, aux amoureux de forêts ancestrales, aux randonneurs désirant rayonner depuis une base fixe. La Corse permet toutes les approches, tous les niveaux, toutes les durées, des balades familiales de deux heures aux trekkings de deux semaines.
La Corse, territoire de randonnée aux multiples visages
Opposer nord et sud corse reviendrait à appauvrir la richesse d’un territoire qui mérite d’être exploré dans sa globalité. Les deux régions se complètent, dialoguent, révèlent des facettes différentes d’une même identité insulaire façonnée par le granite, le maquis et la Méditerranée. Le randonneur idéal planifie plusieurs séjours, découvrant progressivement la palette complète des paysages corses.
Les sentiers de l’île tissent des liens entre présent et passé, nature et culture, effort et contemplation. Marcher en Corse, c’est fouler les chemins empruntés par les générations de bergers, découvrir les vestiges d’une civilisation agro-pastorale millénaire, comprendre l’âme d’un peuple attaché viscéralement à sa terre. C’est aussi expérimenter cette sensation unique de liberté que procure la marche en milieu naturel préservé. Que vous choisissiez les villages perchés de Balagne, les aiguilles flamboyantes de Bavella, les lacs glaciaires de Restonica ou les sentiers côtiers du Cap Corse, vous découvrirez une île généreuse en émotions. Préparez vos chaussures de marche, étudiez les cartes, vérifiez les conditions météorologiques, et laissez-vous guider par l’appel des sommets corses. L’île de Beauté révèle ses plus beaux secrets à ceux qui prennent le temps de la parcourir à pied, au rythme lent et profond de la randonnée.

